Sekai : Chapitre 30 – L’île Tokai

Le bateau arrivait en vue du port d’Hatsumei, qui marquait la porte d’entrée vers le pays de Tokai. L’ambiance à bord était lourde, la grande partie de l’équipage était encore sous le choc de la récente bataille. Malgré la victoire, cet assaut maritime avait réussi à éveiller la conscience des membres des délégations de Kuni et de Seisui : le monde était désormais véritablement entré en guerre.

C’est dans cet état d’esprit que tous découvrirent le port d’Hatsumei. Kyuu n’avait parlé à personne depuis le remerciement qu’il avait adressé à Len quand celui-ci avait sauvé Roku de la noyade. En outre, il pensait encore à son combat contre Yohio. Un doute subsistait encore en lui : devaient-ils, lui et son frère, véritablement se mêler à ce conflit qui ne les concernait pas ? Son cher Roku avait déjà été mis en danger. Cependant, les jumeaux aux cheveux verts ne pouvaient rien faire d’autre pour se racheter. C’était d’ailleurs ce que venait de lui dire Roku. Ils éprouvaient toujours ce sentiment d’avoir causé beaucoup trop de morts. Leur seul moyen pour trouver la rédemption était d’arrêter Fukase.

Un groupe de onze personnes, composé de Mizki et de Dex, mais aussi de Miku, Luka, Rin et Len, Kyuu et Roku, Alys, Shirosaki et Gumi était accompagné par une petite troupe de gardes. Alys observa un instant l’horizon depuis la plage du port. Cette vue lui rappelait grandement son village d’enfance. Pendant un moment, un souvenir heureux se rappela à elle, mais il fut vite évacué par la lourde douleur de la perte de sa famille. Mais la Koryuiste ne voulait pas se laisser envahir par la tristesse. Elle n’en trouvait que plus de motivation pour s’entraîner et atteindre son but.

 Restez prudents, on ne sait pas à quoi s’attendre dans cette ville, annonça Mizki. « Prenez ceci, il faut que nous restions discrets », ajouta-t-elle en tendant à chacun une large étoffe en coton que les membres du groupe pourraient porter comme cape.

Le groupe commença à avancer et s’incrusta dans le centre de la petite ville. Peu après, ils se retrouvèrent au milieu du marché. Presque tous furent interpellés par une technologie encore inconnue pour eux. Les nombreuses maisons comportaient toutes de larges cheminées par lesquelles s’extrayait une grande quantité de vapeur. Plusieurs marchands utilisaient des machines en métal qui faisaient ressortir énormément de fumée afin de cuire quelques aliments à proposer aux acheteurs. L’aspect général des bâtiments étonnait également le groupe. Tous étaient fabriqués dans un mélange de métal gris et de briques rouges.

– Cela coïncide bien avec le rapport des espions, murmura Mizki à Dex. « Tokai s’est bien enrichi technologiquement alors qu’ils vivent en autarcie. »

De son côté, Luka se rapprocha doucement de Miku. Ce nouveau pays l’inquiétait véritablement. C’était la première fois durant le voyage que la Reine de Kuni était véritablement confrontée à l’inconnu. Même si le groupe avait déjà visité l’archipel Seisui, celui-ci laissait échapper une certaine sérénité. Finalement, il n’était pas bien différent de l’île Kuni avant l’assaut de Fukase. Ici, le fossé entre ce qu’elle connaissait et ce pays se montrait bien trop abrupt.

– Ne vous inquiétez pas. Si vous restez près de moi, il ne vous arrivera rien, lança Miku.

La commandante s’était encore montrée plus protectrice qu’à l’habitude envers Luka depuis le début de l’exil. Comme si elle devait réparer une faute. Miku se sentait responsable de la situation désastreuse dans laquelle son pays se trouvait. Elle n’était pas parvenue à faire face à l’adversité. Mais on ne la reprendrait plus, l’heure de la lutte avait sonné.

Alors que la majorité du groupe s’enthousiasmait devant les progrès de l’île Tokai, les Kagamine et les Genshine paraissaient plutôt habitués. Cette technologie se rapprochait davantage de celle qu’ils connaissaient déjà. Leurs sentiments étaient partagés. S’il était quelque peu étrange de trouver de tels appareils dans Sekai, l’apparition de cette technologie agissait comme un signe : ils allaient dans la bonne direction, vers leur monde.

Le groupe continua de s’enfoncer dans le centre-ville. Peu après, ils se retrouvèrent face à un énorme bâtiment. La construction en elle-même revêtit un caractère plus ancien que le reste de la ville, mais plusieurs routes fabriquées en métal gris sortaient de part et d’autre du bâtiment.

– Là non plus, nos éclaireurs ne se sont pas trompés, informa Dex. « Voilà donc le nouveau moyen de transport que Tokai a développé ».

– Ouais, c’est le train quoi… s’écria Kyuu, désinvolte, provoquant la surprise du reste du groupe (surtout parce qu’il s’était remis à parler), à l’exception de son frère, de Rin et de Len qui ne purent réfréner un énorme éclat de rire.

Eux, bien sûr, l’avaient pris plusieurs fois dans leur monde. Rin et Len se rappelaient les nombreuses fois où ils s’étaient faufilés à l’intérieur d’un wagon car ils ne pouvaient pas payer le ticket. Kyuu et Roku, eux, avaient souvent eu l’honneur de voyager en première classe, grâce à Fukase. Tout cela leur paraissait si loin désormais.

Le groupe entra dans la gare. Le hall d’entrée était énorme. De nombreux voyageurs passaient çà et là sans tenir compte de ce qui les entourait. La plupart agissait par pur automatisme. Les personnes originaires de Kuni et de Seisui paraissaient complètement perdues. Heureusement, Rin, Len, Kyuu et Roku avaient l’habitude de tels endroits. La gare ne différait pas tellement de celles qu’ils connaissaient. Les paires de jumeaux prirent donc la tête du groupe. Les Kagamine avaient le sourire. Depuis leur arrivée à Sekai, c’était la première fois qu’ils avaient le dessus sur leur lieutenante et leur commandante.

– D’après les espions, c’est ici qu’il faut sur rendre pour voyager à travers le pays, hésita Mizki.

– Quoi ? Vous ne savez pas où aller ? s’étonna Len en observant les moues improbables de Mizki et de Dex.

– Venez avec nous. Nous allons vous montrer, compléta Rin.

Elle tenta de joindre Kyuu et Roku dans son action. S’ils voulaient se montrer utiles et s’incorporer définitivement au groupe, c’était le moment.

Ils avancèrent tous vers la file qui menait aux guichets. Puis, Rin prit la parole et acheta les tickets pour le groupe entier. Elle était accompagnée de Mizki qui lui avait donné les devises étrangères nécessaires pour se débrouiller sur l’île Tokai. Ensuite, tous passèrent un peu de temps dans la gare. Les membres de l’état-major du pays de Kuni se contentèrent d’observer les divers passants, et tentaient de ne pas attirer l’attention. Ils admirèrent également l’énorme édifice qui constituait la gare, construit entièrement en briques brunes. Une énorme baie vitrée faisait également office de plafond.

– C’est quand même dingue ce qu’ils ont accompli, confia Luka à Miku.

– Oui, répondit la commandante. « Nous avons beaucoup de retard à rattraper », maugréa-t-elle.

– Je préfère voir cela comme un signe d’espoir. Si nous pouvons nous allier à eux, il nous sera peut-être possible de vaincre Fukase.

Miku louait l’optimisme de Luka. La Reine était passée par des moments difficiles, mais depuis le début du voyage, elle ne s’était pas laissée abattre une seule fois, comme si le fait de devoir faire face à ses responsabilités l’avait permis de trouver une force cachée au fond d’elle.

Rin revint en compagnie de Mizki et distribua à chacun leur ticket d’embarquement. Alys, Shirosaki et Gumi l’analysèrent longtemps, tandis que les autres le placèrent rapidement dans l’une de leurs poches. Puis, le groupe se dirigea vers le quai qu’avait indiqué l’employé de la gare à Rin.

L’ambiance sur le quai était relativement calme. Le groupe décida – pourtant sans communiquer – de se placer à l’écart des autres passagers. Miku fut rassurée. Un voyage dans le calme jusque Den, la capitale de l’île Tokai, permettrait au groupe d’établir une véritable stratégie de négociation. La patronne de la Garde royale était particulièrement inquiète au vu de ce qu’elle venait de voir. Selon elle, il allait être difficile de proposer une alliance assez intéressante à Anon et Kanon, qui avaient réussi à redresser leur pays sans l’aide de personne. « Comment deux pays arriérés peuvent être assez intéressants pour elles ? » pensa-t-elle.

Soudainement, ses pensées furent interrompues par le sifflement de la locomotive qui entrait en gare. À l’exception des deux paires de jumeaux, tous furent impressionnés. Une machine de très grande taille en métal noir s’engouffra au sein même du bâtiment. Une longue cheminée déversant une quantité astronomique de vapeur se trouvait à l’avant de l’appareil. Les freins crissaient et la machine s’arrêta peu à peu. Quelques secondes plus tard, plusieurs employés ouvrirent les portes du train pour faire entrer les passagers, non sans avoir contrôlé leur ticket préalablement.

– Personne ne me fera monter dans ce truc ! vociféra Gumi.

– Pourquoi ? demanda naïvement Len.

– Je ne le sens pas, je n’ai pas confiance en cette machine… Il n’y a pas moyen d’aller à Den en diligence ? Cela serait bien plus simple…

De son côté, Rin fit de son mieux pour réfréner son incroyable rire. Son maître, une véritable héroïne de guerre, paralysée par la peur devant un train, la situation s’avérait particulièrement cocasse.

– Allez, je veux bien monter avec vous, maître, lança Rin.

Son ton légèrement condescendant agaça Gumi.

– Rin, fit Alys.

La Koryuiste s’approcha de la jumelle blonde et lui murmura quelques mots. Elle insista sur la situation particulièrement difficile pour la guerrière aux cheveux verts. Immédiatement, Rin regretta son geste, et partit s’excuser auprès de Gumi, non sans lui proposer son aide, de manière bien plus courtoise cette fois. Elle s’était également rappelée que les derniers événements avaient été difficiles pour la lieutenante, qui, en plus de devoir quitter son pays, avait dû abandonner son amant, Yuma.

Le sifflet de l’accompagnateur de train retentit, forçant tout le groupe à rapidement embarquer. Fort heureusement, ils trouvèrent un wagon vide dans le fond du train. Cela leur permettrait de bien faire le point et de digérer tous les événements récents.

***

Le train glissait paisiblement sur les rails. Luka aimait le léger bruit de l’appareil alors que le wagon était complètement silencieux. Chaque membre du groupe avait pris place sur les luxueux sièges en cuir rouge qui parsemaient le wagon. Alys appréciait particulièrement les boiseries bardés de petites décorations plaquées or qui décoraient le train. Elle se trouvait en compagnie de Shirosaki, Rin était assise avec Len, Kyuu avec Roku, tandis que les autres avaient décidé de s’installer seuls. Le début du voyage se passa dans le silence le plus total.

Peu après, Miku se leva de sa place et partit s’asseoir face à Alys. La commandante balbutia puis sortit quelques mots, comme si elle les avait répétés inlassablement auparavant :

– Bravo pour ton intervention sur le bateau. Tu as fait de grands progrès…

– Merci, fit Alys.

– Donc… Hum… Ça y est ? Tu es capable de former une barrière de défense ? demanda Miku, dont le visage trahissait l’espoir.

– Euh… Oui, mais jusqu’à une certaine distance…

Alys eut un regard pour Shirosaki, qui l’enlaça de son seul bras valide. L’expression de Miku avait changé. L’espérance avait laissé place au désespoir. L’heure de la revanche n’était pas encore venue.

– Il y a peut-être encore quelque chose à faire, murmura Shirosaki, gagnant de ce fait l’attention de la patronne.

Alys baissa la tête. Miku insista.

– Les Koryuistes sont très présents sur l’île Tokai. Ils n’ont jamais été discriminés là-bas, informa Alys. « Si je peux entrer en contact avec eux, il y a de fortes chances que je puisse augmenter mon niveau… Mais nous avons coupé nos relations avec eux depuis la fin de la Guerre, et je ne sais pas comment ils vont réagir à l’arrivée d’une pratiquante de l’île Kuni. De plus, je ne sais même pas où ils se trouvent. Les Koryuistes aiment surtout vivre cachés… »

Miku opina du chef. L’idée d’Alys était incertaine, mais elle pouvait s’avérer déterminante en cas de succès.

– Nous en parlerons une fois que nous serons à la cour de Den, conseilla-t-elle. « Ils devraient pouvoir nous aider. »

Un peu plus loin, Mizki et Dex étaient installés face à Rin et Len. Kyuu et Roku se trouvaient sur la banquette adjacente. Le cadet suivait leur conversation de près et essayait de temps en temps d’y participer, tandis que l’aîné observait l’horizon par la fenêtre du train, sans prêter attention à quoi que ce soit d’autre.

– Tokai vous rappelle votre monde, n’est-ce-pas ? demanda Mizki en fixant Rin dans le blanc des yeux.

– Un peu… avoua-t-elle. « Ce train, par exemple… Cela me rappelle les nombreuses fois où nous le prenions en cachette pour voyager, puisque nous n’avions pas d’argent… »

Dex interrogea Rin et Len sur leur ancienne vie. La jeune fille lui raconta donc leur quotidien au milieu des sans-abris du ghetto dans lequel ils habitaient. Un véritable contraste avec la vie des Genshine, qui, eux, avaient plutôt vécu dans le luxe, bien que ce fût sous le joug de Fukase.

– J’avoue… Depuis que nous sommes arrivés ici, nous sommes bien moins seuls, lança Rin. « Les sans-abris étaient très gentils, mais nous passions le plus clair de notre temps seuls, avec mon frère. Nous n’avions pas d’amis et étions considérés comme des parias chez nous. Ca a bien changé depuis que nous sommes arrivés ici… »

– Hum… Quitte à rester ici, peut-être… murmura Dex.

Len réagit : « C’est vrai que ce monde a quelques très bons côtés ». Il marqua un silence. « Mais nous ne pouvons pas abandonner notre monde comme ça. En plus, on ne peut pas laisser Fukase agir de la sorte. Nous devons trouver un moyen de rentrer et de le ramener avec nous. »

Roku baissa la tête en signe de honte.

– Qu’y a-t-il, demanda Mizki.

– Ben, c’est un peu à cause de nous si votre monde est dans cet état. Sans nous, Fukase n’aurait jamais pu atteindre Sekai.

Kyuu prit alors la parole, avec un entrain très rare de sa part. Depuis leur arrivée sur l’île, il s’était inlassablement répété les mots de Roku en songe.

– C’est bien pour cela que nous devons agir. Il en va de notre responsabilité. Voilà notre motivation, si l’un d’entre vous venait encore à en douter.

Pour la première fois depuis longtemps, le groupe entier avait pu profiter de quelques instants de pause pour remettre les choses à plat. Les membres de l’armée de Seisui avaient pu comprendre davantage les motivations de leurs alliés. Les deux paires de jumeaux s’étaient également rapprochés, comparant leurs souvenirs de leur monde.

Quelques heures plus tard, l’accompagnateur de train annonça l’arrivée à Den, la capitale de l’île Tokai.

***

Lorsque le groupe sortit de la gare de Den, ils tombèrent nez à nez avec le centre de la capitale de l’île Tokai. Cette cité se montrait encore plus impressionnante que leur première escale. La technologie y était encore plus évoluée. Au milieu des édifices en briques typiques du pays, on pouvait également observer d’immenses bâtiments en métal de plus de dix étages. Un peu plus loin se dressait la forteresse de Den, la résidence de Reines de Tokai, Anon et Kanon. Ce château était déjà réputé infranchissable lors de la Grande Guerre Magique, mais Mizki et Dex croyaient savoir que ses défenses avaient une nouvelles fois été renforcées. Au loin, on pouvait apercevoir des gardes qui patrouillaient le long des mâchicoulis du château.

La ville entière était impressionnante. Luka se sentait comme écrasée par cette abondance de grandeur. Elle éprouvait sitôt le sentiment d’avoir raté quelque chose durant toutes ses années, d’avoir manqué à amener sa nation à un tel niveau d’évolution. Une inquiétude naissait en elle : si une nouvelle Guerre Magique éclatait, son pays n’aurait aucune chance contre un tel ennemi. Ses pensées se bousculaient dans sa tête.

Dans le même temps, le regard de Miku voyageait entre la cité et la Reine de Kuni. La commandante avait noté l’air inquiet de son amie, et se précipita vers elle.

– Je sais ce que vous pensez, ma Reine…

– Cette ville, elle est étrange… C’est très imposant et joli oui, mais elle a un côté… inquiétant… avoua Luka.

– Si nous pouvions compter ce pays parmi nos alliés, cela serait un avantage évident, assura Miku comme une évidence. « C’est le moment de faire parler vos talents de diplomate… »

Luka soupira, peu sûre d’elle.

– Vous y arriverez, j’en suis certaine ! lui glissa la femme aux couettes à l’oreille.

Le groupe continuait à progresser dans la ville, se rapprochant inexorablement de la forteresse. Kyuu et Roku observait les moindres coins et recoins des rues de la ville, à la recherche du moindre danger. Depuis leur arrivée à Sekai, ils agissaient de la sorte. Le danger pouvait venir de partout. Rin et Len, eux, étaient bien plus naïfs. Les jumeaux aux cheveux blonds se contentaient d’observer avec admiration les environs, comme Alys et Shirosaki d’ailleurs. Gumi restait cependant sur ses gardes.

Quelques minutes plus tard, le groupe arriva sur le parvis de la forteresse. Juste devant la grande porte en fer qui marquait l’entrée se tenait une ligne de gardes armés d’une épée courte et habillés d’un uniforme jaune. D’abord d’un air menaçant, ils s’inclinèrent tous devant le groupe et lui souhaitèrent la bienvenue. Puis, ils firent entrer les visiteurs dans l’enceinte du château.

Le groupe traversa un petit jardin assez joli. Si les fleurs y étaient pratiquement absentes, celui-ci regorgeait d’arbres en tout genre, donnant à l’ensemble une certaine prestance. Les membres du groupe continuèrent ensuite vers l’intérieur où ils furent accueillis directement dans le l’immense hall d’entrée.

Cette pièce était l’une des plus impressionnantes que Luka n’avait jamais vue. Le plafond était extrêmement haut. Plusieurs peintures très différentes le décoraient, mais l’ensemble dégageait une certaine harmonie. Contrairement au Palais Royal de Kyôu, aucune colonne ne garnissait le hall. Cependant, plusieurs statues d’anciens Rois de Tokai fleurissaient l’endroit. Les regards des statues étaient perçants, Luka se sentait observée, comme si elle était considérée comme un intrus. Au centre de la pièce se tenaient deux jeunes filles aux cheveux roux. L’une les portait relativement courts, tandis que l’autre possédait une assez longue tignasse. Toutes les deux portaient une longue robe seyante, blanche ou noire. Leur seul point commun était de comporter des reflets orange à certains endroits du vêtement.

Mizki et Dex s’inclinèrent en premier, ils furent rapidement suivis par le reste du groupe. Rin, Len, Kyuu et Roku agissaient désormais par pur automatisme. D’aucuns n’avait encore compris toutes les subtilités du protocole.

– Bienvenue, commença Anon, qui fut suivie par un acquiescement de sa sœur.

– Merci de nous accueillir, rétorqua simplement Mizki.

Luka savait qu’elle se devait de prendre la parole, mais ne savait que dire. Elle ouvrit donc lentement la bouche et sortit les premières pensées qu’elle avait en tête.

– Nous avons besoin de votre aide. Tout Sekai est en danger… susurra-t-elle.

Anon et Kanon ne parurent pas décontenancées.

– Il est encore trop tôt pour parler de ça. Vos estomacs doivent crier famine. Nous serions honorées si vous acceptiez notre invitation à dîner, s’exprima Kanon.

La Reine de Kuni fut désemparée. Elle n’avait pas le temps de songer à son estomac !

– Mais…

– Nous aurions les idées claires une fois l’estomac rempli, renchérit Anon. « Par la suite, nous aurions tout le temps de discuter. »

Les deux Reines sortirent par une petite porte située à la droite de la pièce, sans se retourner.

Mizki se dirigea vers Luka et la rassura. Un petit banquet pouvait très bien constituer une occasion de briser la glace entre leurs trois nations.

Il s’agissait là d’une occasion rêvée.

***

Le groupe entra directement dans une immense pièce aux murs gris anthracite. Comme toutes les autres salles du château, le plafond de celle-ci était également très haut, ce qui donnait à l’ensemble de la pièce un aspect assez majestueux. Là aussi, plusieurs statues de héros historiques de l’île décoraient les coins.

Anon et Kanon se tenaient juste devant une immense table en bois de chêne foncé. Mais, ce qui attirait l’attention de tous, c’était l’imposante quantité de nourriture mise à leur disposition. De quoi leur faire oublier ces longues journées de voyages durant lesquelles ils avaient dû se contenter de repas frugaux. Plusieurs viandes, poissons, fruits et légumes ornaient l’imposante tablée. Les deux Reines de Tokai invitèrent leurs hôtes à s’asseoir. Rin et Len firent fi de toute politesse et commencèrent le repas, juste après avoir glissé un timide « bon appétit ». Gumi s’excusa pour leur manque de discernement, mais ne les rabroua pas. En effet, elle avait entendu leur récit de leur vie passée. Les jumeaux n’avaient jamais connu tel luxe. Pour eux, cela était tout simplement exceptionnel. Les autres membres du groupe – fort heureusement – montraient davantage de discernement.

Tous s’installèrent autour de la table sans piper mot. L’ambiance entre les dirigeants des différents pays était relativement lourde. Personne n’osait prendre la parole. Quelques minutes plus tard, Luka se risqua à poser une question :

– Vous étiez au courant de notre arrivée ?

– Bien sûr que oui, répondit Anon. « Toutes les côtes sont surveillées. Comprenez bien que nos relations avec l’étranger sont tendues. Si nous vivons cachés, nous devons prendre nos précautions.

 C’était l’évidence même.

– Mais pourquoi donc ne nous aviez-vous pas arrêtés quand nous avons accosté ? interrogea la Reine de Kuni.

– Vous ne nous semblez pas constituer un quelconque danger. Un seul bateau accostant nos côtes, ce n’était pas très grave. Cette fois, c’était Kanon qui avait pris la parole. « Ce n’est pas comme si une armée entière assiégeait l’île ».

– Vous avez visité un peu Tokai ? reprit Anon, qui désirait changer de sujet.

Les deux Reines jumelles prirent à chaque fois la parole chacune à leur tour, dans une parfaite harmonie. Luka commençait à s’amuser de ce ping-pong constant.

– Nous avons eu le temps d’observer deux villes et nous avons été impressionnés par votre évolution technologique. La dame aux cheveux roses pensait bien parler pour tout le groupe en avançant cette affirmation.

– Nous pensions également être accueillis beaucoup plus violemment… murmura Miku, comme pour s’intégrer dans la conversation. « L’île Tokai a beaucoup changé », ajouta-t-elle à demi-mot.

– Oui, ce n’était pas un mince travail, hésita Kanon.

D’un geste de la main, Luka fit signe aux jumelles de continuer leur explication.

– Nous avons succédé à notre père, mais nous n’approuvions pas ses politiques, expliqua Anon. « Pactiser avec l’île Maho était une erreur. L’ancien Roi était ivre de pouvoir, et pensait avoir une telle source de pouvoir qu’il en était devenu fou. Au final, c’est ce qui a causé la chute de notre pays. »

– Il est mort peu après la Grande Guerre Magique, poursuivit l’autre jumelle. « Nous étions encore jeunes et incapables de régner. Notre mère a exercé la régence pendant ce temps. Quand elle nous a quittés il y a quatre ans, nous avons pris le pouvoir. Toutes les deux. Et nous avons décidé de transformer l’île Tokai. »

– C’est impressionnant, confièrent les autres membres du groupe en chœur.

– Sans les autres pays, il a bien fallu se débrouiller seuls. C’est pourquoi nous nous sommes lancés dans la course à l’évolution. Ce n’était pas toujours simple mais nous avons été aidées… heureusement, confia Anon.

Luka et Mizki remercièrent les deux Reines pour ses explications. Puis, elles reprirent un peu de nourriture qu’elles mangèrent délicatement. Ce petit discours était parvenu à briser les tensions entre les nations. L’honnêteté ressortait des mots d’Anon et de Kanon, si bien qu’elles gagnèrent la confiance du groupe. Luka s’était bien évidemment entretenue discrètement avec Miku, Mizki et Dex qui l’avaient confirmé dans son choix.

– Mais, qu’êtes-vous venus faire ici ? interrogea Kanon.

– En fait…

Un violent bruit sourd interrompit Luka. La terreur se lisait subitement sur les visages des deux Reines de Tokai. Miku avait bien reconnu ce type de bruit. Une explosion venait d’avoir lieu dans la forteresse.

Quelques secondes plus tard, un garde royal entra en trombe dans la salle à manger. Il était en sueur.

– Une explosion vient de ravager l’aile Est ! Ce sont les Insoumis ! Vite, tous aux abris !

***

<— Chapitre 29                                                                                           Chapitre 31 —>

 

2 réflexions sur “Sekai : Chapitre 30 – L’île Tokai

  1. Ping : Sekai : Chapitre 29 – Les fugitifs – Les écrits de Jyôka Ryu

  2. Ping : Sekai : Chapitre 31 – Children of the Damned – Les écrits de Jyôka Ryu

Laisser un commentaire